Catégorie: Dark Side
Relisant mes veines, je me demande si celui qui se tord ne vaut pas mieux que celui qui se pavane. Je pourrais avoir peur de perdre la verve, et la rage si elles n'étaient pas encrées dans ma chair comme le métal que les cicatrices recouvrent. Puis-je quitter les rives du mal, vraiment? Je crois qu'aucun bateau ne m'emmènera jamais assez loin pour ne plus le sentir, je crois que quand le diable connaît votre chanson il vous la fredonne, parce qu'il sait que vous y êtes accro, même si ça fait mal, même si ça coule dans vos veines comme des légions de rasoirs, parce que c'est vous, que vous le savez et que vous ne voulez pour rien au monde qu'on vous coupe la tête, ou la chique.
Relisant tout le sang que j'ai fait s'écouler hors de moi, comment je pourrais ne pas l'envier, ne pas vouloir être sûre qu'encore il ira rougir mes nuits, qu'il ira engloutir encore ces démons, qui reviendront encore, et que je les regarderai danser avec un écoeurement avide, enivrée de l'urgence de savoir que je suis seule à pouvoir les toucher, à les posséder autant qu'ils me possèdent, et que s'ils ont des dents pointues c'est parce que la vie est faite pour sortir de moi, et couler, couler jusqu'à plus soif, ne pas tarir, ne pas taire, ne pas garder surtout, ne rien garder.
Ce que je suis tient en peu de mots, que je brasse dans ma folie, avec l'entêtement de l'utopie, croire c'est aussi être de l'autre côté de la frontière, avec ceux de l'autre côté du fleuve, l'autre rive. Et mes passeurs comment je pourrais ne pas vouloir les voir revenir? Cette aliénation qui se tient à la force de la foi, ne pas plier, ne rien fixer que ce point en contrebas, celui qui vous centre et vous fait tenir droit, debout, vers lequel vous vous enfoncez chaque fois que s'ouvre le ventre, le trou noir et béant au fond de vous, qui aspire tout et auquel je ne peux résister. Celui que je vois partout, obsession fantomatique aussi réel qu'une plaie à vif, qui nargue et qui mord, coup de canif au cas où j'oublie, coup de canon à boulet rouge, histoire de rouvrir les blessures, celles que je croyais défaites de moi. Pourtant non, comme des traînées sanguines elles ravagent, fleuves des mourants, elles m'écartent en deux berges et dans le bouillon je descends vers le fond. Puis-je quitter les rives du mal, vraiment?
Absurde que de croire qu'on puisse se défaire de ce qui fait la vie, quand on est fait ainsi que le mal qui coule est une chance, une trace divine à suivre à la lettre. Relisant les rives de mes fureurs je ne vois que l'éclat et la force, et quand bien même je les croirais trop loin de moi aujourd'hui, je sais que les passeurs sont là qui guettent, et que tôt ou tard je franchirais le fleuve encore, parce qu'il est là, le secret, et l'aller-retour est peut être une folie, mais c'est tout ce que j'ai. Tout ce que je sais faire.
Croire à l'autre rive, c'est un peu en crever, mais comment puis-je renoncer à celui que je suis. Quelle prétention de vouloir refuser. Je n'ai pas peur. Peut importe si je deviens parfois celui qui se pavane. Et que toute la verve semble tarie. Peut importe même si j'en venais à oublier qui je suis, que je m'éloigne si loin des rives du mal. Les passeurs y veillent, ils reviendront me chercher. Le diable sait que j'y suis accro, que j'ai ça dans la peau. Il connaît ma chanson, et il adore la chanter. Et je le laisserai chanter encore, et encore. Sirène hurlante m'ouvrant en deux, la mort n'est pas loin, dans ces guenilles qu'il faut enfiler, la vérité aussi. Un point en contrebas. Et comme je cherche, comme je plonge, le diable chante je le sais. Mais relisant la partition de mes veines, je n'y vois pas sa trace. Je n'y vois que la vie. Et la force. C'est ce que je ramène de l'autre rive. Sans comprendre, sans pouvoir dire comment ni pourquoi, juste que je sais le faire, et que je dois le faire. C'est ainsi.
Un passeur. C'est tout ce que je suis.
Venice by Lucie Van Dongen