La cuillère n'existe pas
Catégorie: Etats d'âme
Il y a quelques années, j'étais sur le pas d'une porte, à guetter l'agitation dans une ambulance, à voir si oui ou non ils allaient réussir à le stabiliser et à l'emmener. Ou bien s'il allait mourir là.
Ce que je sais de ça, c'est qu'il faut une fraction de seconde pour comprendre. Et l'éternité pour ranimer un homme.
Hier j'ai reçu un coup de tél de Choute, rentrée de Montréal. Elle n'y repartira pas, elle laisse tomber. Faire sa vie au Québec c'était son rêve, elle en parlait déjà quand elle était gosse. Mais c'est trop dur. Plié, le rêve.
Quand j'étais gosse, je me voyais écrivain, comme une certitude. Et de réaliser hier en raccrochant le tél que mon rêve à moi est du genre indestructible. Rien ni personne pour l'abattre.
L'idée de ses entretiens oraux m'angoisse, et j'en ai ras le bol de m'angoisser pour tout et rien. Il y a bien pire qu'une salle d'examen. Il y a la salle d'attente des soins intensifs, je me souviens. Il y a l'avion qui vous éloigne de votre rêve déjà froid.
Je crois que notre inconscient connait les pires choses de cette existence, les plus redoutables, il les connait déjà toutes. On croit que non, on croit qu'on sera surpris. Mais il n'en est rien. Ancrées en nous elles sont là depuis la nuit des temps, transmises dans notre chair même. C'est pour ça qu'il ne faut qu'une fraction de seconde pour comprendre. Nous contenons déjà en nous l'entièreté du monde. Et quand le pire se présente, nous le regardons se produire avec l'impuissance de tous nos ancêtres. Le reste du temps nous oublions.
Je ne veux pas oublier, mettre en sourdine. Je n'y arrive pas. Je sais qu'il faut l'éternité pour ranimer un homme, et que mon rêve est de ceux qu'on ne descend pas. Je ne sais peut être pas exactement qui je suis ni ce que je vaux, et alors... quelque part j'ai l'impression persistante d'être vernie, autant me fier à ça. Car si j'écoute mon inconscient, il me souffle que tout ceci n'est q'un écran de fumée. La vérité est dans notre chair, et la mienne me la crie par tous les pores de la peau. Elle me le rapelle à chaque souffle.
Une fraction de seconde, voilà à quoi se résume l'éternité.
Et nous en sommes tous dépositaires.