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26 mars 2014

Exécution

Catégorie: Poésie

Des yeux vides
Des mains pleines
Des mots qui crissent
Et qui mentent
Comme on repeint les murs
Aux couleurs des condamnés
Avec autant de balles
Qu'il y a de têtes
Parce que le vent
Ne rentre pas ici
Et que toute sa force n'a pas de foi
Ici
A en arracher le coeur des dieux
Ou celui des enfants
On en aurait plantés là
Tout droits
Combien
Seulement parce que c'est ainsi
Ici
J'en ai les bras en sang
A force d'accrocher
Leurs yeux aux miens
Tandis qu'on recharge
Et qu'on charie
Leurs cadavres encore vivants
Il n'y a pas de massacre plus dur
Que celui
Qui vous fixe dans les yeux
Juste avant
Et je n'avais les mains pleines
Que de sable
Et de vent
Je ne suis que la terre
Pas l'acier
De leurs armes
Dumoins je le prie


                                                                                                                   Colère by Anne Tourliere

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25 mars 2014

Enragée

Catégorie: Au Boulot!

Je suis encore en arrêt maladie. Pas longtemps. Juste 3 jours. Pour reprendre de l'air. Je n'ai pas vraiment le choix mais je me sens minable de faire ça. C'est une fuite. Carrément. Ca ne résoud rien. Malheureusement. Et j'enrage d'en être arrivée là. C'est juste pour ne pas craquer, ne pas imploser en vol. Comme sortir la tête de l'eau pour reprendre de l'air avant de replonger pour les 2 semaines qui restent avant les prochaines vacances. Depuis 2 ans de toute façon, je ne vis plus que de vacances en vacances, je compte chaque semaine, chaque weekend, et j'attends la fin de l'année scolaire comme une délivrance. C'est épuisant. Désespérant. Encore plus quand on sait qu'ensuite il faudra replonger pour une nouvelle année.
10 ans de métier. Je n'ai que 10 ans de métier. Quand j'y pense je me demande comment j'ai pu devenir si vite l'ombre de ces profs que je croisais lorsque j'étais encore prof stagiaire et qui me faisait horreur. Des profs ciniques, désabusés, encore professionnels mais plus tout à fait concernés, parfois assez expéditifs, attentifs avec les élèves mais blasés de tout le reste... et parfois même blasés des élèves. Est-ce que je vais en arriver là, à force? Aujourd'hui je me sens en colère et dégoûtée par tous ce qu'il m'a fallu traverser comme absurdités, tout ce à quoi j'ai pu assister, participer comme mascarades. Mais est-ce que je vais en arriver là, à force?  A m'en foutre de tout? Même du petit M. et du petit E. qui ne savent toujours pas lire et pour lesquels je prépare tous les jours un travail adapté? Même de la petite D. qui me dit qu'elle ne mange rien quand elle rentre chez elle le midi? Du petit G. autiste sur les bords et qui teste ma patience à longueur de journée? De la petite N. angoissée par son hystérique de mère qui la menace de la changer d'école au moindre faux pas et que j'essaye de rassuer tous les jours comme je peux? Du petit L. qui en cette fin de CP n'arrive toujours pas à écrire le moindre mot correctement, même pas son prénom... De tous ces enfants pour lesquels je me décarcasse tous les jours et qui me hantent à longueur d'année, est-ce que je vais finir par m'en foutre un jour, comme ces profs affreux que j'ai tant méprisé autrefois?

Dans cette machine absurde qu'est l'éducation nationale, où quand je parle d'enfants en grandes difficultés, quand j'appelle à l'aide pour eux, on se contente de me répondre au mot près "qu'ils ne rentrent pas dans les statistques", où l'on m'explique que pour un élève qui ne sait absolument pas lire en fin de CP le redoublement n'est pas une solution, où l'on me propose des heures de formations sur le thème de "la littérature au CP" alors que moi je voudrais plutôt qu'on m'explique comment je peux gérer une simple séance de lecture alors que j'ai 2 élèves totalement non lecteur au milieu d'un groupe de lecteurs sacrément hétérogène  et qu'en plus je dois m'interrompre en plein milieu de la séance pour tester la glycémie d'un de mes élèves diabétique, où je voudrais que l'on m'entende quand je parle de cet autre élève au comportement si particulier et si dérangeant qui passe son temps à piquer des crises de nerfs et que je passe mon temps à calmer, laissant ses camarades en plan le temps qu'il faut... Dans cette machine absurde, qui pour arrêter le massacre, pour limiter la casse? Nous, profs, encore motivés, encore résistants, appelant à l'aide, appelant à voir, à prendre conscience!

Mais il n'y a personne au bout du fil. Et j'enrage. Vaguement les collègues, eux-même aux prises avec leurs propres classes totalement hallucinantes. Quelques discussions à la récré, pour se rendre compte que tout continue de se dégrader vitesse grand v et qu'on va droit dans le mur. J'en ai ras le cul - pardon pour l'expression mais c'est celle qui vient spontanément - de leur conneries d'en haut. Des soit-disant nouveaux programmes qui n'auront rien de bien nouveau, on le sait déjà. Des soit-disantes revalorisations de la profession qui n'existent tout simplement pas. Des soit-disant moyens supplémentaires... ah bon où ça? De tous leurs merveilleux concepts et brillantes idées toujours plus loin du merdier de la réalité...

Et le merdier ça ronge. Ca ronge les profs, comme moi. Ca ronge surtout les gosses. C'est le plus insupportable. D'assiter impuissant au massacre, de voir que ce qui aurait pu faire la différence ne sera jamais accordé, jamais même considéré. De voir tous ces gamins qui pourraient avoir une chance si on les voyait vraiment, au lieu de voir des statistiques. De voir qu'on peut y mettre toutes nos tripes jour après jour pour au bout du compte se faire remettre à sa place par le système. Parce que y'a pas de place. Parce que y'a pas de temps. Parce que y'a pas d'argent. Parce qu'on vous rappelle pas. Parce que.

Dans ces cas là je me dis qu'heureusement qu'il y a de la rage, qu'heureusement que ça me révolte encore, de voir comment ça me détruit, de voir comment ça démonte des gosses, parce que même si elle me ronge elle aussi, au moins je me bats encore, comme une enragée, avec la force du désespoir.

Mais pour combien de temps?

Qu'est-ce qui vient après la rage?

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