La légende du lion ailé

Catégorie: Au boulot!

L'impression que je vais passer l'exam le plus important de ma vie, le vrai le seul, qu'il n'y en aura aucun autre pareil. Une borne, une entaille au couteau dans le tronc de mon être, indélébile et douloureuse, forcément. Difficile de dire comment je me sens, difficile de dire à quoi ça rime. En fait ça ne rime à rien. Je vais passer l'exam, le concours, le plus important de ma vie, sauf que je ne l'ai pas préparé comme tel, que je suis malade en plus, que rien, absolument rien ne se passe comme ça devrait, pour réussir je veux dire.

On se construit tous une légende. On a tous nos faits de gloire, ce que l'on a gagné, et touts les pieds de nez sans doute que nous avons été capable de voler, petites réussites ou grandes victoires, à l'arraché ou à force de travail, on a tous notre légende. La mienne est faite de chance, de beaucoup de chance, de virevoltes et d'accrobaties, tirer le diable par la queue et en être encore plus fier quand ça passe, parce que c'était prévu mais pas gagné, parce qu'on a l'impression d'y avoir été au culot, ça rend toujours fière le culot, ça donne l'impression d'être fort.

Sans doute que si sur ce coup là ça passe, d'une manière ou d'une autre, ce sera le fait d'arme dont j'aurai rêvé toute ma vie. Et cette légende là sera belle. Encore faudrait-il que ça passe.J'ai un doute. Je suis morte de trouille, morte d'envie, mortifiée de honte de n'avoir pas, de ne pas bosser plus que ça quand au lieu de passer mes dernières heures à bûcher je les passe à dormir.

J'aime à croire que je sais ce que je fais. Que même si je suis dévorée par la peur comme je ne l'ai jamais été jusque là, que je sais ce que je fais, et que je ne fais pas n'importe quoi. Que je fais comme il se doit, comme je me dois, que je suis fidèle à moi même. Serais-je punie pour ça? Au pire je prendrais une grosse gamelle bien comme il faut, et mon orgueil en prendra pour son grade... quelle importance en réalité?

Je ne me suis pas sentie aussi confiante depuis très longtemps. Aussi confiante avec aussi peu de raison de l'être. Et à sentir cette sérénité rugissante à l'intérieur de moi, je me retrouve des années en arrière, assise par terre dans un couloir sombre, à attendre qu'une porte s'ouvre et qu'on appelle mon nom.

Le lion rugissant qui vient de faire son entrée... il s'est fait désiré, pour sûr. Moi qui pensais ne jamais le revoir. Je pensais avoir brûlé ma chance, pour de bon, à force de la forcer, l'avoir consumée tellement que la légende en prenait pour son grade. Je croyais que j'avais tout saboté, foutu la carte en l'air, perdu le nord, trop tard. J'ai cherché le lion, au fond de mes tripes, maintes fois, j'ai attendu qu'il apparaisse au détour d'un choix, et qu'il le balise, qu'il pose sa marque. A coup de griffe, qu'il acquiesce.

Une entaille dans la chair de mon coeur. Et passer la borne.

Aucun mot pour dire à quel point je suis reconnaissante pour cette nouvelle chance. Et même si les épreuves n'auront lieu qu'après demain, même si je n'en connais pas l'issue, peut importe. J'ai déjà gagné. J'ai ma réponse. Depuis le temps que je guettais le lion ailé. Depuis le temps que je me guettais.

Aller viens.