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25 août 2004

Le corps des chimères

Catégorie: Bright Side

Parfois je pourrais me disperser dans la lumière telle la poussière tellement je me sens insignifiante et incapable. Je hais ce sentiment qui se colle sur mon cœur et l'étouffe. Tellement de gens capables de tellement de chose, et moi j'attend quoi. Juste le souffle du vent.

 

Sur mes terres, j'attend qu'il se lève. Je le sais qui souffle à l'horizon, je le vois lever des tourbillons de sable au loin, balayer la mer. Mais il ne vient jamais jusqu'à moi. Jamais. Je reste debout, à le fixer, distant, inaccessible, incapable d'aller le chercher, de le faire venir. Je n'ai plus qu'à attendre.

 

Un jour, sans qu'on sache pourquoi, le vent se lève sur nos terres. Toujours un miracle, une chance. Toujours un mystère. Et avec lui il fait se lever nos rêves, nos plus beaux espoirs, l'essence de notre vie.

 

En attendant, je trace besogneusement au sol le dessin de ceux-ci. Avec tous les pigments que je trouve, qu'on veut bien me donner, je dessine ma vie, ma foi, ce que j'ai au plus profond de moi, qui me fait envie, qui me fait avancer, les chimères figées de mes imaginations, celles qui peuplent mon enfance et mes nuits, qui dansent au fond de moi quand je ferme les yeux, derrière mes paupières elles sont déjà vivantes. Alors je les trace dans la plaine, je leur donne corps. Et j'attend.

 

Demain, dans une année, dans une décennie, dans une vie, le vent se lèvera sur mes terres, et avec lui il lévera mes chimères. De corps elles prendront vie, devant mes yeux, enfin. Je veux les voir danser sur la terre, en ce monde, se gonfler de ce souffle ultime, je veux les voir s'animer pour de bon, être ce qui ne peut être défait, accomplies, qu'elles me survivent. Et qu'elles puissent être pour un autre les sables dansant au loin, ceux qui attisent la foi.

 

A moins que ces sables ne soient que d'autres comme moi qui se sont dispersés dans la lumière, à force d'avoir trop attendu le vent. Alors il vient enfin, et vous emporte vous, c'est votre corps qu'il souffle, votre corps incapable, il le disperse sur l'horizon, sur la mer.

 

Quelque part restent les rêves et les chimères des hommes ainsi balayés. Chimères sans paupières derrières lesquelles danser, elles hantent sans doute d'autres plaines. Ou encore celles tracées au sol que le vent n'est jamais venu lever.

 

Ces chimères là me hantent moi. Je les ai dans le sang, et je les devine, très loin, quand le vent se tait. Les rêves qu'on a abandonné ont un chant à vous transpercer le coeur. Ils se moquent bien eux, de voir venir le vent, à jamais attaché à leur immatérielle nature. Ils sont morts quelque part, nostalgiques, innaccessibles, détachés de ceux qui les ont fait, un jour. Ils ne prendront jamais le vent, ils ne prendront jamais vie.

 

Aucune importance. Les rêves ne sont pas fait pour être vécus, ils sont faits pour être rêvés. Et ceux qui errent sur les terres des vivants le savent, le vent ne lève jamais que du sable et des pigments. Pourquoi alors je m'épuise à attendre le vent?

 

Le corps des chimères est à l'intérieur de nous, mais le vent de leur vie ne nous appartient pas. Et je tiens trop à mes rêves pour les laisser orphelins sur des terres étrangères. Je veux croire qu'un jour le vent passera par là. Je veux les voir danser. Qu'elles me survivent, mes chimères, mes folies. Et qu'elles soient les mères d'autres chimères, pour d'autres rêveurs qu'elles garderont en vie.

 

Sinon, quand le vent dispercera mon corps, elles deviendront éternelles. Elles iront rejoindre les rêves sacrés, irréalisés, ceux qui chantent quand le vent se tait. Et qui poussent encore les rêveurs à tracer leurs dessins, prenant leur revanche en les pressant d'y croire, même si ce n'est que sable et pigments.

 

Parce que le vent n'est que du vent, sans le corps des chimères.

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