Chirurgie au hachoir
Catégorie: Au Boulot!
Ces derniers temps je me suis mise à parcourir des blogs de profs, et franchement y'en a qui me collent des doutes, voir des remords, voir carrément les boules. Ce soir au hasad de glissement de blogs en commentaires en blogs et recommentaires... je tombe sur ce post http://elisetitane.canalblog.com/archives/2007/02/07/3935317.html d'un blog que je vais sans doute pas tarder à mettre en lien parce que plein d'humour et dans le vif du sujet.
Et donc lisant ce post je tombe des nues: sans déconner ça existe les profs T1 qui arrivent à avoir des fiches de prép tous les jours, des défis multiplication qui tournent tous seuls, des séquences planifiées qui tiennent la route, du travail en petits groupes, des corrections à jour, des activités raccord de révision, des activités de routines, avisé le work in progress, faire des activités de bilans...???
Je dois pas prendre les bonnes vitamines moi.
Parce que moi je ne fais jamais de préparation, j'ai pas fait une seule fiche de prép depuis la rentrée, et pour ce qui est du cahier journal, j'ai laissé tomber quelque part en novembre. Parce que j'arrive le matin et que oh surprise j'ai aucune idée de ce qu'on va faire dans la journée. Parce qu'en réalité je ne sais pas ce que je vais faire d'une heure sur l'autre. C'est déjà un miracle que j'ai réussi à mettre au point un emploi du temps par jour et d'arriver à m'y tenir! Parce que je n'ai aucune progression, que je fais tout en bataille et rien précisemment, que j'essaie surtout de limiter les dégats. Parce que je me retrouve obligée parfois de leur trouver un travail chiant et long pour qu'ils me foutent la paix, parce que parfois je donne des trucs à côté de la plaque parce que j'ai rien d'autre sous la main de faisable, parce que j'avais pas corrigé certains de leurs cahiers depuis novembre, parce qu'on ne fait jamais de bilan et on corrige quasiment jamais rien au tableau. Parce que je perds leurs dictées, parce que mes CE2 sont livrés à eux même, parce qu'on ne se sert plus des ardoises depuis quelque part vers fin septembre, parce qu'une fois sur deux j'oublie de faire contrôle, parce que je donne à peu près ce qui me tombe sous la main en devoirs, parce que je suis à la bourre dans tous les programmes, parce que je simplifie les apprentissages jusqu'à leurs plus simples expressions. Parce que je ne sais pas comment faire autrement.
Je ne comprends pas ces instits qui arrivent à avoir des trucs carrés, préparés, où ça tourne, où ça marche, avec le bon matos tout fait sur mesure, mises en place de rituels, d'activités en groupes, de rémédiations, de bilans, comme Cléopatra. Ca me laisse rêveuse, et ça me colle une sainte odeur de merdique crottitude quand je regarde mon boulot à moi. J'arrive pas à comprendre ce que je fais de travers, où je m'y prends mal, où est-ce que je me plante hein?
Je ne suis pas une mauvaise maîtresse. Je suis seulement très loin d'être à la hauteur. J'ai la sale impression de juguler tant bien que mal, de contenir le flux, de parer au plus pressé, de faire de la chirurgie au hachoir. C'est tout à fait ça. Je sais que c'est un travail chirurgical, je sais que je devrais être précise, savoir plein de truc, avoir plein de trucs en place, être méticuleuse et le reste, sauf que bon, moi tout ce qu'on m'a donné c'est un hachoir.
Alors je me dis que voilà, autant continuer comme ça puisque je peux rien faire de plus, que ça pourrait être pire, que dès que je gagne du terrain hop je réinvestis, que je rattrape des petits bouts de trucs de temps en temps. Que les gamins ont l'air d'avancer. Finalement j'ai l'impression de pas trop mal m'en sortir avec mon hachoir. Sauf que je fais pas le poids face à ceux qui ont trouvé leur scalpel. Et que je me demande bien où est le mien?...
Parfois face à mes élèves j'ai l'impression d'être juste là pour veiller sur des esprits qui passent, sur des vies qui se cristalisent, parce que je sais que tout ça n'est que du vent. Je sais les rouages du système. J'en sais toutes les failles, tout ce qu'il promet et qu'il ne donnera jamais. La miroir aux alouettes. Je sais la fragilité du papier à cigarette qui fait une vie d'enfant, je sais l'incroyable destin des hommes et ce qui tournent à l'intérieur. Je sais qu'il faut y croire, je sais le poids qui nous fait courber, je sais le pouvoir du rêve, celui de l'envie et celui de l'amour. Je sais le prix de la connaissance, je sais la force des mots, mais je sais aussi celle du coeur. Je sais qu'il faut faire confiance, je sais qu'il y a des choses qu'il faut forcer avec la facilité du quotidien, qu'il ne faut pas faire dans la dentelle, et que toutes les fioritures finisent par nous enterrer, qu'on n'est pas la pour plaisanter. Je sais que je dois être face à eux avec la constance des étoiles quand tout le monde autour tire la chasse, que je dois être juste, que je dois être inépuisable, que dans ce système je dois être celle qui les aura défendu, soutenus, amenés. Parce que ne nous leurrons pas, l'école ne leur apprend plus seulement à lire, elle leur apprend à vivre.
Et dans ces moments là je me dis que finalement, être armé d'un hachoir, c'est sans doute mieux.
Et puis y'a pas, quand je regarde mes gosses je vois ces étoiles dans leurs yeux, la malice. Et leur langues bien pendues.
Ben je me dis que finalement je manie vachement bien le hachoir.