Catégorie: Au Boulot!
Cette année scolaire est loin d'être une partie de plaisir. Pire. C'est la permière année où je déteste mon métier, où il devient un boulet, un cauchemar même, où il m'obsède et me dévore, où je me demande régulièrement comment je pourrais fuir, reprendre des études, pour faire autre chose.
Tout a commencé l'été dernier. Après quelques années passée dans notre école, Chevaline a obtenu un poste à la gran-ville. Au premier abord, bonne nouvelle: je ne m'entendais pas particilièrement bien avec elle. Sauf que la collègue qui a obtenu son poste et qui a débarqué pour prendre sa place était une débutante. Depuis des année que je suis dans cette école, c'est toujours comme ça: ce sont toujours des débutants, homologués "première année d'enseignement", qui débarquent. Et ça ne me dérange pas vraiment. Sauf que ce coup-ci, c'est un peu la fourdre qui m'est tombée dessus. Car entre-temps, le ministre avait pondu sa lubie: pas d'enseignant débutant sur des classes de CP, ce sont les profs expérimentés qui doivent s'y coller. Ca tombait mal. La classe laissée par Chevaline était une classe de GS-CP. J'étais - et je suis toujours- la plus ancienne dans l'école, la plus expérimentée aussi. Tous les yeux braqués sur moi. De son côté, Sid a très vite adopté la posture "je disparais dans les motifs du papier peint" histoire qu'on n'émette pas l'idée qu'il pourrait s'y coller. A peine quelques jours de flottement. Au final y'a pas vraiment eu de discussion. C'était stérile. Et voilà que sans avoir rien demandé, bien au contraire, on me retire ma classe chérie - celle pour laquelle je bûche depuis plusieurs années déjà, pour laquelle j'ai construit des outils, pour laquelle j'ai du savoir faire et dont j'attendais les nouvelles têtes avec impatience car connus pour être des élèves adorables, alors que je venais de faire 2 ans avec de vrais terreurs. Autant dire que j'ai eu l'impression d'une énorme injustice, d'autant plus qu'au final la situation est totalement ubuesque si on prend en compte le fait que je n'ai jamais eu de classe de CP, même pas lorsque j'étais en formation et que donc je n'y connais absolument rien. Je suis donc tout à fait débutante. Tout ça pour ça. Bombe amorcée.
Me revoilà donc revenu des années en arrière, à bosser 14h par jour, jamais couchée avant 1h du matin, tellement je veux bien faire, tellement cette classe m'angoisse, tellement il faut tout penser depuis le début, le moindre outil, la moindre activité, la moindre façon de faire. Des années en arrière, j'avais tenu le rythme. Cette année, j'ai implosé. Parce qu'épuisée par mes 2 dernières années trop difficiles, parce qu'aucun soutien ni de l'institution ni des collègues, parce que toujours les mêmes parents désagréables qui vous cherche des noises, toujours les mêmes cas désespérés et désepérants d'élèves paumés, de familles en difficultés, de situations révoltantes qui vous mettent la tête en ébulition, toujours les mêmes circulaires assomantes, les mêmes décisions politiciennes qui remettent votre travail en vrac, qui rajoutent, et qui dégoutent, toujours les mêmes imprévus qu'on colmate, qu'on écope, qu'on encaisse... Et plus aucune envie, aucune niaque pour faire face, plus de certitudes, ni celle de bien faire, d'être compétent, ni celle d'être utile, ni même celle d'être à la bonne place. Juste une rancune, lancinante, une blessure, une trahison. Béante. A vif.
Malgré ça j'ai voulu m'accrocher, ne rien lâcher. J'ai continuer à bosser, plus, plus dur. J'ai eu tord. C'est le corps qui a lâché pour moi. J'aurais jamais cru, et si j'avais eu la moindre idée de ce qui aller me tomber dessus, j'aurais levé le pied beaucoup, beaucoup plus tôt. Finalement, c'est contrainte et forcée que j'ai du m'arrêter.
Plusieurs semaines d'arrêt de travail. Des cachets pour dormir. Des cachets pour ne pas pleurer. Des cachets pour ne pas trop réfléchir. Réaliser que je suis dans un tunnel depuis plus lontemps que je ne croyais, que je descendais tranquillement aux enfers sans vraiment m'en rendre compte. En souffrant beaucoup, profondement, et dans ma chair et dans mon esprit, silencieusement, incidieusement. Réaliser aussi que ce qu'on croyait être une vocation ne l'est plus, que ce que j'avais errigé comme ma raison de vivre n'était qu'un leurre. Que je m'étais trompée, et que j'allais devoir tout repenser, tout simplement pour pouvoir continuer, pour pouvoir revivre.
Me voilà donc aujourd'hui en reconstruction. J'ai repris ma classe depuis quelques semaines, et c'est plutôt encourageant. Je n'y suis pas complètement à l'aise, elle me cause encore beaucoup de soucis mais je relativise. J'ai même eu le "bonheur" d'être inspectée ces derniers jours. Encore un truc qui me pendait au nez depuis deux ans et qui a fini par me tomber dessus. Un truc qui s'est pas vraiment bien passé d'ailleurs -faudra que je dise un mot là dessus- mais au point où j'en suis rendu aujourd'hui ça n'a que peu d'importance à mes yeux. J'ai pris mes distances. Avec l'entièreté du métier. Je travaille moins, je place des limites. Je reste stoïque devant les éclats de la hiérarchie. Je suis un peu plus distante, et avec les collègues et avec les familles et avec les élèves. Moins concernée, moins engagée. Je me protège. Et ça marche. Je commence à voir le bout du tunnel, doucement. C'est fragile, c'est loin d'être gagné, mais c'est déjà bien.
Je me cherche d'autres intérêts. Je réalise que je ne sais pas quoi faire quand j'ai du temps libre. La première chose qui me vient à l'idée c'est toujours des corrections, des préparations, des choses pour l'école. Et quand je les écartes pour leur préférer le jardinage, le scrapbooking ou la lecture j'ai encore parfois le sentiment d'être la plus mauvaise des maîtresses, une fainéante, indigne... heureusement j'apprends à effacer ce sentiment affreux, à lui répondre que je ne peux pas vivre que pour ce travail, en esclavage. J'apprends à m'autoriser à nouveau des loisirs, des bonheurs simples, une vie normale quoi. Une vie changée pourtant.
Et je soigne lentement cette blessure de ne finalement pas être cette incroyable maîtresse, inspirée et habitée. Respectée.
Celle que je fus à mes débuts et qu'ils ont tuée.