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2 octobre 2019

Rien à déclarer

Catégorie: Au boulot!

Cet après-midi, j'étais à la gendarmerie. Première fois de ma vie que je fous les pieds dans une gendarmerie. J'étais ravie. Surtout que c'était pas pour un problème personnel, non, c'était pour le boulot. Boulot de merde. J'étais entendu comme témoin - heureusement je ne suis pas directement mise en cause, en tout cas pas pour le moment - dans une affaire concernant un gamin de 8 ans qui en a poussé un autre à la récré. On vit dans un monde où quand un gamin en pousse un autre à la récér, les parents portent plainte. On vit dans un monde délirant.

Bien sûr la famille qui porte plainte a une version terrible, d'un grosse harcelé, tabassé au sol par 8 autres camarades au moins, ignoré par les enseignants présents, blessé mais non soigné... Bref une horreur. Bien sûr les enseignants présents, dont je fais partis, n'ont pas du tout vu ça. Mais on ment. C'est évident. D'après la famille, on ment sur tout. Sur l'heure de l'accident, sur les enfants en cause, sur le fait d'avoir bien évidemment écouté et soigné leur gamin, sanctionné les autres. On ment parce qu'on protège une autre famille. On vit dans un monde où les enseignants sont des fainéants menteurs et sous-doyés. On vit dans un monde délirant.

Après on s'étonne que des collègues démissionnent - non tu déconnes c'est un trop bon boulot prof vous avez un max de vacances et des horaires de fou - ou pire en viennent à se foutre en l'air. Vous faîtes des études et vous passez un concours pour transmettre des connaissance à des enfants, leur apprendre les maths, la lecture et un peu les choses de la vie. Mais une fois dans le métier, vous réalisez que ça, ce qui devrait être le coeur de votre métier, de votre action, ça en sera juste un morceau, bouffé par tout le reste: les problèmes de la société qui se déversent dans nos classes comme des camions bennes avec des familles difficiles ou en difficultés, la paperasse qui se multiplient comme les moucherons sur un tas de pommes pourries, les injonctions et lubies débiles de la hiérachies qu'on nous claironne à coup d'emails et de flashs info, les collègues en détresse qu'on réconforte comme on peut, les élèves en détresse pour qui on se démène sans pouvoir souvent améliorer vraiment les choses... Et au milieu de tout ça, comme si c'était normal, vous vous retrouvez convoqué à la gendarmerie.

Heureusement je le vis relativement bien. Depuis le temps j'ai appris à prendre du recul. Mais je suis terrifiée de voir à quel point notre système éducatif, et notre fonction publique en générale, à quel point on est au bord du gouffre. Même pas, on tombe déjà. Je ne sais pas si je resterai dans le navire encore longtemps, car je n'ai aucunement l'intention d'y laisser ma santé et de finir à bout comme certains collègues, j'ai déjà donné, je saurai foutre le camp avant cette fois. Mais vraiment, c'est tout simplement terrifiant de voir à quel point l'école va mal, à quel point l'école convulse et collapse. J'en suis témoin depuis l'intérieur, et comme tant d'autre je le hurle comme je peux.

Et c'est terrible de m'entendre répondre: "Non tu déconnes c'est un trop bon boulot prof vous avez un max de vacances et des horaires de fou, et vous vous plaignez encore!"...

Je me plains pas connard, j'agonise. Je meurs. Parce que c'est ça notre painte: l'école agonise et meurt. Tout simplement. Atrocement. Et on vit dans un monde délirant où ça ne fait pas - ou si peu - écho.

Et ce soir j'en suis terrifiée et atterrée.

Rien d'autre à déclarer.

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