Catégorie: Dark Side
Je n'ai pas la force de porter la terre, aucun homme n'est fait pour porter la terre. Et le souffle du monde est si fort dans mes poumons qu'il m'étouffe, lentement. A force de rester debout au bord du gouffre, le temps finit par devenir une sorte d'oubli, une attention qui ne tient plus, une anecdote. On ne regarde plus que le fond, ou l'horizon, ou les deux qui se fondent l'un dans l'autre pour ne devenir juste qu'un flou gênant, une sorte d'erreur, d'aberration qui vous hypnotise, et vous happe. Je n'ai rien voulu de cette folie, de ces questions qui m'entourent comme nuée de mouches et d'or. Je n'ai rien voulu de tout ce bruit et de tout ce silence qui s'alterne comme on berce les enfants qui font leurs dents, en vain. Pas de sens à ces heurts, à ces malheurs, à ce besoin de hurler qui ne vient pas, ou trop peut être, et que je finis par ne plus pouvoir distinguer au milieu de toutes l’eau qui coule à l’intérieur de mes veines. C'est dedans que tout se joue, c'est dedans et c'est comme de regarder au bord du gouffre le plus vertigineux du monde. Personne n'est fait pour porter le monde, alors pourquoi est-il à l’intérieur de nous ? Je finirai presque par arracher ce corps pour en sortir, pour faire sortir ce qu'il y a vraiment dedans, pris dans la peau, pris dans les nefs comme dans une pelote de fils effilés, éméchés, atrophiée. Je devrais pouvoir, je devrais penser, je devrais. Mais c'est comme une transe, une absence, une obligation furieuse et insensée de regarder en bas, de se figer en tout, face au monde, et juste d'attendre qu'on ouvre la porte. J'ai trop de raisons, trop de mots, trop de souffle courts, trop de peurs et d'horreur pour remplir ce vide. Trop de choses me sont passées à travers, emportant des morceaux de moi chaque fois, m’émiettant, me fragmentant, tellement que je ne suis plus assez entière pour être sereine, pour être vraiment vivante. J'ai su, j'ai su et ceux qui savent ne restent pas là, ils ne restent pas heureux, ils ne peuvent pas être ici comme on le serait si on était enfant. On finit par se morfondre, par vouloir retourner au delà, sortir de ce cube, de cette sensation vertigineuse et atroce d'étouffement, de contrition, de confinement. A l'intérieur il y a du vent, dehors il y a du vent. Et si je n'ai pas la force de porter la terre c'est sûrement parce que j'ai trop pensé à tout ça, que mes pieds ont saigné sur trop de chemins secs et inutiles, et que tous les cris coincés en travers de mon corps ont fini par le couper, net. Il faut être entier pour porter le monde. Il faut être un titan pour porter le monde. Il faut être. Je n'existe pas moi, je ne suis pas. Que dans une existence brumeuse, volatile et insignifiante, ridiculement abstraite. Aucun homme n'est fait pour porter la terre. Pour ça, il ne faudrait avoir ni corps ni vertige. Pas de poumons ni de vie pour hurler. Il faudrait être vraiment vivant. De cette vie là bas. J'ai trop de tord, et trop de torture. J'ai trop d'envie, à force de fixer le vide en bas à l'intérieur de moi. J'ai trop d'attente.
Ainsi je n'ai pas la force de porter le monde.
Mais je n'ai pas le choix.
Cambodian Tree by Unknown