Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
In my Pocket
Archives
19 avril 2009

Désillusion

Catégorie: Etats d'âme

Souvent j'ai l'impression de ne pas vivre ma vraie vie, de ne pas avoir de vie, mais juste d'attendre, d'attendre que quelque chose se passe, d'attendre que ma vraie vie commence.

Dans ma vraie vie, je suis médecin urgentiste. Je bosse 72h d'affilée mais la seule trace de fatigue sont des cernes à peine visible sous mes yeux pleins de compassion. Je sais garder mon sang froid même avec plein de sang chaud sur les mains, je pose sans cillé des diagnotics regorgeant de mots compliqués dans la fracas de l'agitation des nuits de pleine lune, avec un professionalisme qui fait de moi une légende dans tout l'hopitâl. J'ai quand même parfois des doutes existenciels face à la mort, à la vie, en me remémorant le pauvre patient que je n'ai pas pu sauver, doutes que je soigne en allant danser le tango dans un club à la mode où j'ai une bouteille à mon nom derrière le bar et où tout le monde me connait pour être une remarquable danseuse qui tient l'alcool comme un docker. Mais je ne suis jamais soûle, j'ai juste un peu les yeux qui brillent, et je finis toujours par rentrer en taxi dans mon appart au 12ième étage, parquet en bois exotique et bais vitrée donnant sur les lumières de la ville, vue sur le fleuve dans le fond. Je m'endors toute habillée sans même régler le réveil, et à peine 5 heures plus tard alors que le soleil se lève juste, je franchis la porte des urgences, gobelet de café dans une main et sac de sport dans l'autre, sourire aux lèvres et teint de pêche, et après avoir fait mon footing je suis prête pour prendre une nouvelle garde de 72h tapantes. Ca c'est ma vraie vie.

Dans ma vraie vie, je suis archéologue, spécialiste de tout un tas de civilisations très anciennes, la seule capable même se déchiffrer certaines de leurs langues très anciennes. Je travaille à authentifier divers objets retrouvés dans des fouilles sur lesquelles je me rends à l'occasion, toujours bien accueillie en raison de ma renommée, et qui me font voyager aux quatre coins de la terre. Tous les musées du monde font appel à mon savoir, je m'engueule d'ailleurs régulièrement avec certains conservateurs un peu trop impatients, car étant débordée de demande il y a un temps d'attente avant de pouvoir obtenir mes conclusions et ça, ils ne le comprennent pas. De temps à autre, j'apparais dans quelques inaugurations d'expositions mais surtout je donne des cours et des colloques à des étudiants friants d'anecdotes en tout genre. Je supervise quelques thèses tout en préparant mon prochain chantier de fouilles d'ailleurs sponsorisé par un ami millionnaire qui ne peut rien me refuser. Des tas de cartes, de photos satellites et relevés en tout genres tapissent les murs de mon immense loft amenagé dans les sous-sols d'un grand musée, puisque le conservateur de celui là est aussi un ami qui ne peut rien me refuser. J'ai d'ailleurs la chance de pouvoir décorer les murs de ce charmant petit nid avec quelques unes des oeuvres gardées dans les réserves, notamment une collection de masques africains du plus bel effet au dessus de mon lit. Ca, c'est ma vraie vie.

Dans ma vraie vie, je bosse comme profiler pour le FBI, la CIA, la NASA et j'en passe. Je suis un profiler super doué en psychologie criminelle, mais je suis aussi un médium. C'est pour ça que je suis super importante pour eux, et que je n'interviens que sur des enquêtes prioritaires, sanglantes, tordues, le genre que les médias adorent. J'ai une équipe qui bosse avec moi, enfin pour moi, qui fait tout ce que je dis comme je dis, et j'ai même un super coéquipier chargé de me protéger, des fois qu'un des malades après qui je courre voudrait me faire la peau. Je ne conduis pas, j'ai trop de migraine pour ça. Je me contente de rester derrière mes lunettes noires et de dire que je sens des trucs. Je lis des rapports qu'on ne rédige que pour moi, et je rentre dans la tête des tueurs. On me livre de la bouffe chinoise dans mon bureau en verre dont je ferme toujours les persiennes, ou dans une chambre de motel minable perdue le long de l'autoroute 57 parce que le dernier corps a été retrouvé à 3 kilomètres de là hier. On prend des pincettes quand il faut me contrarier, sinon je peux faire des crises de nerfs effroyables et même des crises de catarsie. Tout le monde est au petit soin, et mon coéquipier dit que je suis une chieuse, mais vachement douée. Ca, c'est ma vraie vie.

Dans ma vraie vie, je dresse des chevaux sauvages. J'ai repris le château familiale dans le nord de l'Ecosse et je maintiens le haras fondé par mon grand-père grâce à mon don inné pour le dressage. Tout le monde s'étonne de me voir monter des chevaux rebels que personne ne peut approcher, mais je suis tenace et je n'ai jamais peur de me faire mal. Je suis une cavalière émérite qui sait du premier coup d'oeil repérer les futurs champions que j'apprivoise avant de les céder à des propriétaires généreux. Mes chevaux courrent sur tous les hippodromes du monde, et on vient de loin pour tenter de m'en acheter, mais je les cède pas à n'importe qui ni à n'importe quel prix. Mes bêtes sont toute ma vie, tout comme ma terre sur laquelle je règne sans partage, imposant mes règles à tout ceux qui vivent alentours. Le château sert de chambre d'hôte durant la saison touristique et je m'amuse toujours de voir des cavaliers maladroits partir pour de gentilles balades tandis que moi je préfère chevaucher au galop le long des falaises abruptes, dans le vent salé de la tempête qui monte. Ca, c'est ma vraie vie.

Dans ma vraie vie, je suis écrivain, un écrivain à succès. J'aligne les best-sellers, depuis le fond de ma superbe maison accrochée dans la forêt au bout d'un chemin de montagne. Dans mon salon les 3 écrans géants projettent en permance des images en vrac, sans le son, trop envahissant. Je préfère écouter les cloches et les bêlements des troupeaux alentour tandis que je tapote mon clavier. Je me chauffe aux bois grâce à un poële d'un autre âge, et je bois des tisanes tout en lisant le fax arrivé de Paris à l'entête de mon éditeur qui m'informent que mon nouveau roman sera traduit en 28 langues et distribués dans autant de pays dans à peine plus de quelques semaines. Je change de chaine et je me vautre dans le vieux canapé en cuir avant de m'attaquer à la lecture du contrat que me propose un réalisateur en vue à hollywood pour une adaptation d'un de mes premiers livres. Je ne donne quasiment pas d'interview, mais je discute régulièrement avec mes fans sur le forum de mon site web officiel. Ils attendant d'ailleurs avec impatience la prochaine nouvelle inédite que je mettrais en ligne gratuitement dans la rubrique "nouveautés". Au mur au dessus du canapé, une toile d'un de mes auteurs de bds préférés, devenu un ami à l'occasion d'un travail collectif pour un livre intitulé "La peur et le rêve", recueils de différentes oeuvres sur le thème de la terreur et des héros en littérature. La toile a été peinte spécialement pour moi, avec une dédicace en bas, et me représente sous les traits d'une super héroine sexy, rien à envier à Wonder Woman ou Lara Croft. Ca, c'est ma vraie vie.

Dans ma vraie vie, je pilote des motos rugissantes, je conduis des cadillacs chromées. Je prends des avions, je dors dans des aéroports, dans des trains. Dans ma vraie vie, je parle à plein de gens au téléphone, dans des langues différentes à chaque fois, et je ris, ou je gueule. Je fais des clins d'oeil, je m'enferme dans des ascenseurs. Dans ma vraie vie, j'allume la radio en plein milieu de la nuit tandis que la pluie arrose Manhatan ou j'ouvre des frigos à moitié vides dans des hôtels de seconde zone. Dans ma vraie vie, je laisse des pourboirs aux serveuses, j'ai des robes de soirées, je connais des chanteurs de jazz et des tatoueurs. Dans ma vraie vie, je suis toujours quelqu'un de bien, quelqu'un de fort, quelqu'un de beau.

Et puis j'éteins la télé, je ferme le livre, je coupe le son du mp3, je me réveille. Et il n'y a plus que le tic-tac de l'horloge de mon salon, mon poisson rouge dans son bocal et mon chien qui dort sous la table basse. Il n'y a plus que moi sur mon canapé. Moi et ma vraie vie, pour de vraie.

Et dans ma vraie vie, je suis juste une instit de campagne qui vit seule, squattant un appart de fortune jamais en ordre, qui n'a que le numéro de sa maman et de son frère dans son répertoire téléphonique, atteinte d'un toc grotesque et d'une incapacité sociale chronique, entêtée et dépensière, et qui a rendez-vous chez le dentiste demain.

Dans la vraie vie, je ne suis personne.

Publicité
Publicité
Commentaires
E
Dans ta vraie vraie vie tu es une instit respectée, tu représentes tout pour 30 paires d'yeux (ou 20 si tu as de la chance) et pour 30 coeurs qui ne t'oublieront jamais. Dans 50 ans, ils parleront de leurs années à l'école primaire avec Mme Eddie, celle qui leur a tant apporté. Dans la vraie vie, tu es une fille qui écrit divinement bien (je te l'ai déjà dit, non?) et qui sait toucher les gens en faisant passer des émotions du quotidien comme personne...<br /> Dans la vraie vie, tu es toi, et ça ne vaut pas moins que quelqu'un d'autre.
Répondre
D
Tu n'es pas personne, tu es tout le monde ! Ton post m'inspire et en inspire sans doute d'autres. Qui n'a pas l'impression de passer parfois à côté de sa vie ?
Répondre
T
Où ça ton château au nord de l'Ecosse? (Y en a très peu sur la côte Nord)<br /> J'espère qu'on a le droit de rêver à d'autres vies que la sienne. Je suppose que tout le monde le fait. Je le fais souvent.<br /> Par contre je suis fermement convaincue, peut-être que c'est puéril, que si on veut changer sa vie et réaliser son plus grand rêve, au singulier le plus grand rêve, on peut.<br /> <br /> D'autre part les beaux rêves qu'on fait, si on les regarde d'un peu plus près on peut voir qu'ils ne nous apporteraient pas autant de bonheur qu'on croit.<br /> Apparemment, après 2mn 10 de recul et d'analyse approfondie sur tes vraies vies, tu as envie de reconnaissance sociale, d'un entourage de préférence admiratif, et de succès. Tu peux peut-être trouver tout ça dans ton travail actuel, sans tout changer ni tout refaire à zéro.<br /> <br /> Et puis on peut devenir écrivain à succès si on prend le temps d'écrire un peu tous les jours après son boulot d'instit. C'est ce que je fais, mais chhht.
Répondre
E
C'est incroyable car ce que tu écris, j'aurais pu l'écrire ... car cela part d'est un sentiment que je ressens. De ne pas être en phase avec ma vie et parfois de l'être totalement. Car, selon les moments, les envies changent et ne sont pas les mêmes.<br /> Dans ma vraie vie, je suis cavalière aussi, médecin sans frontière, sage femme, écrivain, comédienne, professeur d'université, une pianiste reconnue, une danseuse étoile, une cow "woman" ... alors que je ne suis aussi qu'une jeune instit' pleine de doutes. La déroute, ça s'appelle. Mais je sais aussi que ce sont ces envies d'autres vies qui vont rendre la mienne un peu plus réelle et belle. <br /> <br /> Merci d'avoir écrit ce billet !
Répondre
In my Pocket
Publicité
Publicité